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Incendie de l'usine Lubrizol (classée SEVESO) à Rouen: retour sur une sombre semaine Empty Incendie de l'usine Lubrizol (classée SEVESO) à Rouen: retour sur une sombre semaine

Sam 5 Oct - 16:42
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Au petit matin de ce jeudi 26 septembre, la ville de Rouen est méconnaissable : un énorme panache de fumée dense et noir recouvre une bonne partie de la ville. Une couche d’hydrocarbures se dépose peu à peu dans les alentours.

Dès le lendemain, les habitant.es sont touché.es par des maux de tête, de gorge, des vomissements. Ils sentent des odeurs désagréables. A l’origine de ce drame, un incendie au sein de l’usine Lubrizol. Elle produisait des additifs servant à enrichir les huiles pour moteurs, et additifs et fluides pour les lubrifiants et les carburants. L’usine fait partie des sites dits « Seveso » seuil haut, usines industrielles qui présentent les risques les plus importants pour la santé et l’environnement en France. Ce spectaculaire incendie soulève, une semaine après, encore de nombreuses questions.

Quand les incohérences alimentent la défiance

Si le préfet s’est rapidement voulu rassurant en affirmant qu’il n’y avait pas de « toxicité aiguë », il annonçait dans le même temps geler les récoltes des agriculteurs, au nom du principe de précaution. Puis de l’amiante a été retrouvé. Chose surprenante pour un site Seveso : les autorités n’en avaient pas connaissance. C’est ainsi que toute la semaine, incohérence et double discours ont participé à la confusion générale et à une forte défiance envers l’État et le préfet. En première ligne, les questions de toxicité de la pollution découlant des substances dangereuses présentes sur place.

Liste des substances sur les lieux : quelle est l’ampleur des pollutions ?

Cinq jours après l’incendie, l’État a enfin publié, ce mardi 30 septembre, la liste des substances présentes sur les lieux. "Il était important que l’État consente à publier des documents qui en principe ne peuvent l’être, au titre des risques industriels1 et du secret des affaires.” souligne Guillaume Blavette, administrateur de France Nature Environnement Normandie. “Cette liste fait état de nombreuses substances nocives (Cancérogènes, Mutagènes, Reprotoxique), dont la réaction à la chaleur et/ou le mélange reste pas ou peu connu… Cela appelle des analyses complètes, sur le long terme, qui vont bien au-delà de la qualité de l’air, car c’est l’ensemble de l’environnement qui est impacté (eau, sols, etc).”
Pour ces analyses, France Nature Environnement demande un processus qui associe toutes les parties prenantes (syndicats, société civile, experts techniques de l’Etat, exploitant) afin que l’analyse et le suivi de ces pollutions soient assurés dans une plus grande transparence et information des citoyens.

Sécurité du site : le préfet n’a pas demandé la mise à jour d’études indispensables

L’accident nous alerte également sur l’assouplissement des normes environnementales. Profitant de nouvelles dispositions mises en place par le gouvernement en 20182, le préfet de Seine-Maritime a en effet autorisé Lubrizol à augmenter le volume de stockage de certaines substances, tout cela sans exiger une mise à jour de l’évaluation environnementale et de l’étude des dangers.
L’évaluation environnementale permet d’évaluer les risques et impacts potentiels pour l’environnement. L’étude de danger aurait dû quant à elle apporter des éléments de réponses sur les risques à court et long termes liés à la dissémination des composés chimiques dans l’environnement… Cette étude des dangers doit aider à mieux connaître les scénarios d’accidents et leurs impacts sociaux, économiques, sanitaires et environnementaux, comme les conséquences d’un incendie avec les matières présentes. Lubrizol ne l’aurait pas actualisée.
Au vu de l’historique de l’usine, il aurait pourtant été opportun de les demander : l’usine avait déjà connu deux autres accidents en 2013 et 2015. C’est seulement suite au premier accident que l’entreprise s’était dotée d’un plan de prévention des risques technologique (PPRT), alors que la loi Bachelot de 2003 le rendait obligatoire et malgré son classement Seveso seuil haut.

La réduction des exigences environnementales en toile de fond

Dans ce contexte, le préfet est mis en cause, la dégradation du droit de l’environnement devrait également l’être. Aujourd’hui, les extensions de stockage passent par des procédures dans lesquelles les autres parties prenantes, et notamment les associations de protection de l’environnement, ne sont ni informées, ni consultées3. Les associations du mouvement France Nature Environnement continuent de siéger dans les Commissions Départementales de l’Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques (CODERST) mais ces dernières ont de moins en moins de dossiers à l’ordre du jour. Les préfets privilégient un dialogue bilatéral avec les industriels plutôt que des stratégies territoriales de prévention des risques ouvertes à d’autres acteurs.
France Nature Environnement milite pour que les demandes d’extension de stockage ou de modifications des installations soient soumises à un examen réalisé par une autorité environnementale indépendante, en amont des autorisations. Le gouvernement a fait le choix de la confier aux préfets, choix entériné par la loi ESSOC "pour un État au service d'une société de confiance" (sic) de 20184 que France Nature Environnement conteste fermement. Cela conduit forcément à une baisse de vigilance dans le domaine de la prévention des risques environnementaux et sanitaires, qui passent derrière des enjeux de développement économique. Le préfet se révèle juge et partie, situation dénoncée par France Nature Environnement.
Cette loi intervient dans un contexte plus global de course à la simplification des normes environnementales. Seulement, derrière le terme de « simplification », Matignon désire « favoriser les implantations industrielles »5, entendez par là, une réduction des exigences environnementales que doit respecter une industrie.

De moins en moins de moyens humains pour assurer des contrôles

A cela s’ajoute une dégradation des moyens humains. En 2006, il y a eu 30 000 contrôles des risques industriels, en 2018, seulement 18 196. Et la tendance risque de s’accentuer. Malgré un « virage écologique » dans les discours, le gouvernement veut réduire les effectifs du Ministère de la transition écologique et solidaire. Il va perdre, d’ici 2022, 4951 postes. Or, les inspecteurs des installations classées qui ont en charge le contrôle de ces sites particulièrement dangereux pour l’environnement, les Installations classées pour la protection de l’environnement dont les sites SEVESO, dépendent de ce ministère : au lieu de renforcer les contrôles, le risque est grand de voir la quantité mais aussi la qualité de ces contrôles baisser. Un audit de la mise en oeuvre de la politique de prévention des risques naturels et technologiques en Région Haute-Normandie du Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable6 avait déjà pointé ces problèmes d'effectifs.
« Ce regrettable accident appelle plusieurs remarques : un rappel tout d’abord, le rôle capital joué par l’information du public un des maillons de la sécurité industrielle. L’importance, ensuite, d’allouer d’importants moyens à l’État pour qu’il assure ses missions de contrôle des sites industriels à (hauts) risques. Le Gouvernement doit réagir et revoir sa copie sur le plan budgétaire et stratégique vis-à-vis de la simplification du droit. Les exigences environnementales doivent cesser d’être considérées comme des freins à l’activité industrielle. Elles sont d’abord un moyen de protéger notre patrimoine commun et un outil pour assurer la sécurité des riverains. » conclut Ginette Vastel, spécialiste des questions de risques industriels de France Nature Environnement.

France Nature Environnement saisit le parquet.

France Nature Environnement va également saisir le parquet pour demander, une enquête sur les causes de l’incendie au regard du respect de la législation sur les installations classées et une enquête sur les conséquences sanitaires et écologiques. Nous portons également plusieurs recommandations auprès du gouvernement pour la gestion de cette crise sur le court et le long terme. Découvrir ces propositions.
2 Décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l'évaluation environnementale : seule les "Créations d'établissements entrant dans le champ de l'article L. 515-32 du code de l'environnement, et modifications faisant entrer un établissement dans le champ de cet article (*)" sont soumises à Evaluation Environnementale systématique, donc les modifications des ICPE SEVESO ne sont plus soumises à évaluation environnementale obligatoire, mais sont examinées au cas par cas par le préfet
3 voir note de bas de page 2
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