Agressions sexuelles dans le sport : Lyon voudrait être exemplaire
Sam 22 Juil - 17:23
Sport et violences sexuelles dans les clubs : Lyon s’attaque au revers de la médaille... Le 5 juin dans L’Équipe, le Maire de Lyon, Grégory Doucet dévoilait son intention de fixer un nouveau prérequis pour les subventions accordées aux clubs de sport lyonnais : ils devront former leur personnel à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles pour la rentrée 2024. Une décision largement saluée, mais qui fait malgré tout grincer quelques dents au sein des clubs.
Un reportage de Laurène Roche
(pour l'Arrière cour, média lyonnais dédié aux enquêtes)
« On a besoin d’un engagement massif », déclarait Grégory Doucet dans les colonnes de L’Équipe au sujet des violences sexistes et sexuelles. Pour rappel, en 2020, Roxana Maracineanu, ministre des Sports, déplorait des cas d’abus sexuels dans 40 fédérations françaises. La mairie de Lyon a décidé de soutenir cette lutte en conditionnant les subventions accordées aux clubs de sport à la formation des personnels encadrants d’ici à la rentrée 2024. Selon le maire, Lyon est « la première grande ville à mettre en place ce dispositif ».
Un levier de plus contre les violences
Pour 2024, la Ville prévoit la formation d’au moins deux personnes par club, un membre du conseil d’administration et un salarié. Aucun maximum n’a été fixé. Julie Nublat-Faure, adjointe aux sports de la Ville de Lyon, tient à préciser : « On veut que cette nouvelle condition ne soit pas perçue comme une contrainte supplémentaire, mais comme une clé. » Un avis partagé par Thomas Verro, responsable administratif et sportif du club Lyon Athlétisme : « J’y vois un accélérateur plutôt qu’une obligation. C’était déjà présent dans certains discours et actes ; si cela doit passer par un moyen plus formalisé, nous ne le ressentons pas comme une contrainte. » La mesure a été accueillie positivement dans la plupart des clubs que nous avons interrogés. À l’instar de Laurent Beaudroit, président du club de tir à l’arc Les Lions du 8ème, selon qui « la Ville va dans le bon sens avec cette proposition ».
Certains reconnaissent que l’implication des fédérations sportives sur le sujet reste pour le moins légère. Au club de badminton Bacly, on insiste sur le fait que, « si le badminton est un sport qui n’est pas touché par les grands scandales de violences sexistes et sexuelles, cela ne nous empêche pas d’être vigilants ». Julien Lamercerie, salarié du club, qui a suivi une formation auprès de l’association Colosse aux pieds d’argile, reconnaît qu’« elle permet d’être plus attentif à certains de nos propres comportements ».
Yann Cucherat, leader du groupe d’opposition Pour Lyon, salue lui aussi cette « bonne initiative » qui lui semble « essentielle » : « À partir du moment où on distribue de l’argent public, c’est bien d’y imprimer un certain nombre d’orientations politiques. Quand un projet fait sens et s’attaque à un enjeu de société, il n’y a pas de raison qu’il y ait d’opposition. »
« Toutes les échelles de gouvernance doivent prendre le problème à bras-le-corps »
Ce projet est né grâce à Jean-Christophe Vincent. Le président du club de foot Lyon – La Duchère a rencontré Grégory Doucet afin de lui soumettre son idée. Avec Julie Junquet, une salariée du club formée aux PSSM (premiers secours en santé mentale), il va à la rencontre des élus afin de les convaincre de mettre en place des politiques contre les violences sexistes et sexuelles. Les discussions sont « en bonne voie » avec Paris et Marseille.
Jean-Christophe Vincent porte le combat contre les violences sexistes et sexuelles au sein du club depuis sa nomination en 2021, avec la création d’un pôle de prévention. Julie Junquet est présente pour accompagner les adhérents victimes de violences : « Je suis un trait d’union entre le club et les structures d’aide. Les difficultés auxquelles je suis confrontée sont le reflet de ce qui s’observe au niveau national : pour avoir un rendez-vous, c’est neuf mois d’attente, les professionnels sont débordés. J’interviens pour réduire ces délais. Je dois gérer l’attente tout en mettant les personnes en sécurité. »
Durant la première saison couverte par ce dispositif, sur les quarante enfants reçus au pôle de prévention, dix ont fait l’objet d’un suivi particulier, trois d’un signalement au procureur, dont deux subissaient des violences au sein de leur famille. Pour le moment, les victimes accompagnées n’ont pas subi de violences au sein même du club, mais dans leur entourage ou d’autres lieux de sociabilité.
La parole des victimes semble s’être libérée ces dernières années, grâce notamment au témoignage de la patineuse artistique Sarah Abitbol dans son livre Un si long silence (2020). Elle est enfin écoutée par les institutions publiques et sportives. Plusieurs athlètes féminines ont été précurseurs dans cette prise en compte, parmi lesquelles Catherine Moyon de Baecque. En 1991, elle obtient les meilleurs résultats au lancer de marteau ; cette même année, elle est sexuellement agressée par ses collègues masculins de l’équipe de France. Ne trouvant pas de soutien auprès de sa fédération, elle finit par porter plainte. Mais elle paiera cher cette décision, puisqu’elle sera exclue des instances sportives pendant plusieurs années.
La plupart des fédérations, à l’instar de celles d’athlétisme et de badminton, commencent à intégrer des parcours de sensibilisation dans la formation des entraîneurs sportifs. Du côté de la mairie de Lyon, « on pense que les collectivités ont aussi un pouvoir ». Pour Julie Nublat-Faure, « quand on veut agir, toutes les échelles de gouvernance doivent prendre le problème à bras-le-corps. »
« Suivre ce type de formation, c’est prendre le risque que des affaires sortent »
Si le club de Lyon – La Duchère est aujourd’hui montré en exemple, le chemin n’a pas été facile. Lorsque la décision de recourir aux services de l’association Colosse aux pieds d’argile a été actée, certains s’y sont opposés : « Beaucoup d’éducateurs faisaient l’amalgame entre être éduqué contre les violences sexuelles et être éduqué sur la sexualité. » Cela a été jusqu’au licenciement d’un entraîneur, qui refusait de se plier à cette décision.
Pour clarifier ce malentendu, Fabien Lefèvre, responsable du pôle prévention de l’association Colosse aux pieds d’argile, rappelle que « le but est de reconnaître des comportements, des signaux d’alerte, pour pouvoir agir ». Former les éducateurs permet de les « prémunir des situations à risque et éviter de fausses accusations – même si, il faut le dire, les accusations sont vraies dans 95% des cas ».
Ces réticences aux formations, Maud Raynert en a une certaine expérience. Ancienne nageuse du club de natation de Clamart, elle a été victime de violences sexuelles commises par son entraîneur. Elle anime désormais auprès des jeunes des ateliers centrés sur les violences. « J’ai dispensé une formation au club de natation de Villefranche, l’équipe m’a avoué qu’ils craignaient au début de me consulter. Car suivre ce type de formation, c’est prendre le risque que des affaires sortent. Certains ont peur pour la réputation de leur club. » Nous avons d’ailleurs eu plus de mal à joindre des clubs dans des disciplines qui ont déjà été exposées à des scandales de violences sexuelles. Malgré plusieurs relances, le club de Lyon patinage artistique ou encore le club Aqua synchro Lyon ne nous ont pas répondu.
Cette dimension de crainte pour la réputation des clubs et des sports concernés est fréquemment à la source de l’omerta entourant les violences sexuelles, ainsi que le rappellent Grégory Doucet et Julie Nublat-Faure dans l’e-mail adressé aux clubs : « Dans l’immense majorité des cas, la loi du silence a prévalu. Comble de l’écœurement, l’entre-soi a profité aux agresseurs, l’impunité s’est révélée la norme. Au mobile consternant qu’“il ne fallait pas ternir la bonne image du milieu”. »
À tous les coûts
La mise en place d’un tel dispositif représente bien entendu un coût pour les clubs. À Lyon – La Duchère, « le pôle de prévention nous coûte 40.000 euros par an ». Jean-Christophe Vincent précise qu’il ne veut pas « que tous les clubs suivent forcément l’exemple du pôle : c’est un dispositif avec ses coûts, mais former les personnels est important et devrait être considéré comme nécessaire ». Si la mairie de Lyon a assuré prendre en charge « entièrement » les coûts des formations pour les clubs, Julie Nublat-Faure nous indique que « le budget n’est pas encore stabilisé ».
Christophe Frappée, président du club Lyon Natation Métropole, s’interroge quant à lui sur la mise en place de la formation : « Qui va être habilité à nous former ? Il y a beaucoup de clubs à Lyon, je vois difficilement comment cela va être organisé. » Du côté du club de badminton Bacly, on soulève que « le véritable obstacle va être de libérer du temps pour former le personnel. Tous les clubs n’ont pas la chance d’avoir des salariés. »
Face à ces inquiétudes, Julie Nublat-Faure se veut rassurante : « La formation se fera en deux temps, avec d’abord une conférence générale à laquelle tous les clubs seront invités. À l’issue de cette conférence, nous proposerons pendant un an des ateliers qui seront pilotés par des associations ayant pignon sur rue. » Une dizaine de sessions de formation sont prévues, même si la Ville peut en « envisager davantage selon le remplissage des sessions ».
Laurène Roche
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